CATHOLICISME - L’organisation et la vie de l’Église

CATHOLICISME - L’organisation et la vie de l’Église
CATHOLICISME - L’organisation et la vie de l’Église

Pour comprendre les institutions actuelles de l’Église catholique, il faut partir du fait historique qui explique son origine: la conviction d’un petit groupe d’hommes et de femmes, dans les années 30 à 40 du premier siècle, que Jésus de Nazareth, récemment crucifié sur ordre de Ponce Pilate, procurateur de Judée, était ressuscité, qu’il était le Fils de Dieu, Dieu lui-même, l’Homme-Dieu, le Seigneur de l’humanité et de l’univers, et qu’il avait voulu rassembler tout ceux qui croiraient en lui, parmi tous les peuples du monde, en une unique grande communauté d’essence exclusivement religieuse. Il faut faire appel à l’histoire des idées, des institutions, des civilisations et des religions, car les structures de l’Église restent profondément marquées par les éléments de toutes sortes qu’elle a intégrés pendant sa longue histoire bientôt bimillénaire. Il faut recourir tout autant à la théologie, à la psychologie et à la sociologie qu’au droit ecclésial lui-même, appelé traditionnellement droit canonique, et aux systèmes juridiques qui l’ont influencé (droit romain, droits barbares, droits étatiques modernes et droit international). À ces conditions seulement, on verra ce qui est en jeu dans la profonde mutation actuelle des institutions ecclésiales et on pourra prévoir avec des chances réelles de vraisemblance leur physionomie future.

1. Les Institutions ecclésiales

Un problème

L’idée fondamentale que les institutions ecclésiales doivent concrétiser est celle de la communauté des croyants en Jésus-Christ, telle que celui-ci l’a voulue d’après la foi de l’Église primitive: une communauté unique à travers le temps et l’espace, d’ordre strictement religieux, à laquelle tous les êtres humains sont appelés par la prédication de l’Évangile, sans qu’on ait aucunement le droit de les contraindre à y entrer (les conversions forcées, pratiquées à certaines époques, sont une aberration absolument contraire au message évangélique), ni à y demeurer (l’Inquisition est une aberration du même type). Elle doit être, suivant la fameuse distinction évangélique entre le domaine de Dieu, l’Église, et celui de César, l’État, à la fois indépendante par rapport au pouvoir politique et dépourvue de tout pouvoir hiérarchique à son égard; le césaropapisme de type byzantin s’explique par la rémanence en climat chrétien de la confusion du politique et du religieux dans la cité antique tandis que la chrétienté sacrale du Moyen Âge, dominée par la papauté, vient de la même rémanence et de la désagrégation de l’organisation politique de l’Europe occidentale à la fin du premier millénaire. Cette idée de communauté unique des croyants en Jésus-Christ, ou de Peuple de Dieu, a été vigoureusement mise en relief par Vatican II, mais elle n’avait jamais disparu de la conscience collective de l’Église. C’est pour cela que l’hérésie et le schisme y ont toujours été ressentis comme une rupture douloureuse et scandaleuse. On devient membre de la communauté par le baptême et la profession de foi. Tous les membres sont fondamentalement égaux et appelés à la même sainteté essentielle, qui consiste, de leur part, dans l’accomplissement, aussi plénier que possible, du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain, dans lequel se résument les exigences de l’Évangile, et tous doivent être des éléments actifs de la communauté, mais chacun a son rôle spécial à y jouer, qui vient de l’initiative divine (théologie paulinienne des charismes). La distinction la plus importante qui existe entre eux – du moins dans l’Église catholique et les Églises orientales, car les Églises issues de la Réforme ne l’admettent pas en principe – est celle qui s’établit entre les titulaires du sacerdoce ministériel – le corps épiscopal (évêques) et ses collaborateurs (les simples prêtres), en continuation du collège apostolique établi par le Christ lui-même – et le laïcat, c’est-à-dire l’ensemble des chrétiens, qui jouissent seulement du sacerdoce commun des baptisés. Entre les deux ont été institués des degrés intermédiaires: non seulement les diacres, d’origine apostolique, mais aussi des catégories de nombre et d’appellations variables. Tous ceux-ci, avec évêques et prêtres, constituent le clergé.

Ce qui unissait les communautés ecclésiales, pendant le premier millénaire, c’était essentiellement une communauté ( 礼晴益諸益晴見) de foi, de sacrements et de fidélité aux exigences évangéliques. L’administration, la législation et les coutumes étaient à la fois locales (évêchés) et régionales (par exemple, l’Égypte, l’Afrique du Nord, la Gaule). L’évêque de Rome était considéré, en tant que successeur de Pierre, comme le premier des évêques et l’arbitre suprême, mais il n’était nullement à la tête d’une administration centralisée. La seule législation proprement universelle émanait des conciles œcuméniques. La situation changea profondément, quoique insensiblement, dès le début du deuxième millénaire, en raison de la séparation de fait entre l’Orient et l’Occident. L’Orient conserva ses propres traditions, de type pluraliste. L’Occident vit croître, quoique avec quelques éclipses, l’initiative centralisatrice de la papauté, par souci d’unité et d’indépendance de l’Église par rapport au pouvoir politique, mais aussi sous l’influence d’une mentalité, héritée du droit romain, portée à rechercher l’uniformité. La tendance s’accentua considérablement au XIXe siècle. Son aboutissement extrême fut, sur le plan de la législation, le Code de droit canonique de 1917, et, sur celui du gouvernement, les pontificats de Pie XI et de Pie XII.

Le deuxième concile du Vatican marque un tournant et l’on peut déjà prévoir que ses conséquences seront considérables. L’existence d’une organisation centrale de l’Église, en tant que signe et facteur d’unité, apparaît comme une nécessité irréversible, mais elle doit admettre une très large décentralisation, qui permette aux Églises particulières et aux Églises diocésaines d’assumer leurs propres responsabilités. L’ancienne idée-force de la 礼晴益諸益晴見 reprend ainsi toute sa valeur, mais avec le progrès capital d’une meilleure structuration de l’unité. La collégialité de l’épiscopat redevient une réalité concrète sans nuire aucunement à la primauté du souverain pontife. Le laïcat retrouve le rôle auquel il avait droit après une longue période de cléricalisation excessive et devient de plus en plus actif dans les institutions ecclésiales, en collaboration étroite avec le sacerdoce ministériel. L’Église catholique s’ouvre toujours plus intensément à l’œcuménisme: c’est-à-dire à ce courant puissant qui pousse les diverses Églises à se retrouver et à s’accepter différentes dans l’unité d’une seule Église, qui serait alors vraiment l’Église catholique ou universelle. La réforme juridique en cours de développement a pour but d’exprimer dans les institutions ces prises de conscience et ces décisions fondamentales. Même rénové, comme il doit l’être, dans son expression, le droit ecclésial a son langage et ses exigences propres. Il faut éviter des analogies trop rapides avec les autres systèmes juridiques, politiques et religieux.

L’Église universelle et son gouvernement

L’organisation du pouvoir suprême dans l’Église catholique présente cette particularité singulière qu’il appartient dans sa plénitude (enseignement authentique de la Parole de Dieu contenue dans la Révélation et commandement sous les trois aspects classiques: législatif, exécutif et judiciaire) à deux titulaires, sans que l’un fasse nombre par rapport à l’autre: le pape et le concile œcuménique. Cela tient au fait que, d’après la conception catholique, le premier est le chef du corps épiscopal et que le second, qui est le rassemblement de ce corps épiscopal, ne peut être considéré comme tel que s’il est regroupé autour de son chef et agit de concert avec lui.

C’est parce qu’il est le successeur de Pierre, chef du collège apostolique, que l’évêque de Rome, appelé officiellement souverain pontife ou pontife romain, ou plus simplement pape, est le chef du corps épiscopal et, par là, de l’Église universelle. Il est, dans sa personne et dans l’activité qu’il déploie directement ou avec l’aide de ses collaborateurs, le signe et le facteur hiérarchiques de l’unité dans l’Église, d’une unité qui a sa source profonde dans le Christ ressuscité, dans la Parole de Dieu et dans les sacrements, mais qui a besoin d’un symbole personnel qui en soit en même temps le principal artisan. Bien qu’il ait le droit d’évoquer à lui toutes les affaires quand il le juge opportun, il n’est pas et ne peut pas être un monarque absolu. Parce qu’il doit être fidèle aux exigences de la Parole de Dieu, il doit en particulier respecter et favoriser l’activité du corps épiscopal et de chaque évêque particulier pour le secteur ecclésial qui lui est confié. Ouvrier de la convergence, il se contentera souvent d’être un arbitre suprême plus qu’un chef qui veut tout régenter. C’est là une condition essentielle pour l’avenir de l’œcuménisme. D’après le droit actuel, il nomme en principe tous les évêques de l’Église latine et Vatican II a voulu définitivement écarter toute ingérence du pouvoir politique dans les nominations épiscopales. Longtemps suzerain des États pontificaux, dont l’existence, qui s’explique par les circonstances historiques, eut le mérite, en dépit de nombreux inconvénients, d’assurer l’indépendance de la papauté, il se contente volontiers, depuis les accords du Latran (1929), d’un territoire exigu: la cité du Vatican, qui n’a d’autre but que de signifier sa nécessaire indépendance. Il est élu à vie, aux deux tiers des voix par le Collège des cardinaux.

Le concile œcuménique est le rassemblement en une assemblée délibérante autour du pape du corps, ou collège épiscopal, c’est-àdire de tous les évêques en communion avec lui. D’après le droit actuel, il doit être convoqué, présidé directement ou indirectement et ratifié par lui, ce qui est logique, puisqu’il est le chef du corps épiscopal. Le but de sa réunion est de résoudre les grands problèmes qui se posent à l’Église aux principales étapes de son histoire. Les contacts, les discussions et les délibérations de toutes sortes entre des évêques venus du monde entier donnent la possibilité de mieux cerner ces problèmes et, comme chacun aura été engagé dans la décision, acquise seulement à une très forte majorité (les deux tiers des voix), il sera davantage porté à en assurer l’exécution. Alors que le pape est, pourrait-on dire, le signe de l’unité de l’Église dans sa vie quotidienne, le concile œcuménique l’est à certains moments essentiels. Pour le comprendre et pour en saisir l’importance ecclésiale, il suffit de se rappeler l’expérience toute récente de Vatican II.

Un tel rassemblement de tout l’épiscopat catholique ne peut avoir lieu que rarement. Il est cependant souhaitable que ses représentants puissent collaborer étroitement avec le pape au gouvernement de l’Église universelle. C’est dans ce dessein qu’à été institué en 1965-1966 le Synode d’évêques pour l’Église universelle, appelé plus simplement Synode épiscopal. Dans l’état actuel du droit, il est seulement en principe une assemblée consultative et le pape le convoque, quand il le juge opportun. Une grande partie des membres sont élus par les Conférences épiscopales. De divers côtés, on souhaite qu’il devienne une assemblée délibérante et que le rythme de ses sessions ordinaires soit prévu par une disposition générale, par exemple, une par an.

Faudrait-il, dès lors, maintenir l’existence du collège des cardinaux ? La question est assez souvent posée. Librement nommés par le souverain pontife, ils sont heureusement, depuis Jean XXIII, revêtus de la dignité épiscopale. Du vivant du pape, ils sont individuellement ses conseillers privilégiés, du moins théoriquement, mais ils ne constituent juridiquement aucune assemblée collégiale proprement dite. Ils ne le deviennent qu’à la vacance du Siège apostolique. Ils reçoivent alors, constitutionnellement, le droit de régler les affaires urgentes, et ils doivent procéder – et eux seuls – le plus rapidement possible à l’élection d’un nouveau pape. Ne pourrait-on pas supprimer cette institution et confier la fonction qu’elle remplit actuellement, qui est surtout d’élire le nouveau pape, au Synode épiscopal? C’est ce que pensent beaucoup et ils ne manquent pas d’arguments impressionnants.

Le pouvoir suprême ecclésial a besoin de disposer de services complexes. Leur ensemble constitue ce qu’on appelle traditionnellement la Curie romaine, qui a été l’objet d’une réforme importante en 1967. L’organisme principal en est la secrétairerie d’État ou secrétariat du pape, car il est chargé de coordonner l’activité de tous les autres; il lui est adjoint le conseil pour les Affaires publiques de l’Église (rapports avec les gouvernements). Puis viennent les congrégations: congrégation pour la Doctrine de la foi, congrégation pour les Églises orientales, congrégation des Évêques, congrégation de la Discipline des sacrements, congrégation des Rites, congrégation pour le Clergé, congrégation des Religieux et des Institutions séculiers, congrégation de l’Enseignement catholique, congrégation pour l’Évangélisation des peuples. Viennent ensuite les secrétariats: secrétariat pour l’Union des chrétiens, secrétariat pour les Non-Chrétiens, secrétariat pour les Non-Croyants. Il faut encore compter: le conseil des Laïcs et la commission pontificale Justice et Paix; les tribunaux: tribunal suprême de la Signature apostolique, Rote romaine, Pénitencerie apostolique; enfin, divers offices. La réforme en cours commence à réaliser nettement l’internationalisation de la Curie, qui fut longtemps entre les mains des Italiens, réclamée de toutes parts: à la fois pour le personnel permanent et par la collaboration d’évêques et de spécialistes du monde entier continuant à habiter dans leurs pays respectifs.

Les Églises particulières et leur gouvernement

Par Églises particulières, on entend les Églises groupées – avec leurs structures, leurs traditions théologiques et liturgiques et leur mentalité propres – et donc une très large marge d’autonomie – au sein de l’Église universelle et sous l’autorité de son pouvoir suprême. L’Église latine ou occidentale dont le pape est le chef (en tant que patriarche d’Occident) en même temps que celui de l’Église entière, est elle-même une Église particulière à l’intérieur de l’Église catholique, au même titre que les Églises orientales catholiques. Ce concept est de la plus haute importance pour l’avenir de l’œcuménisme, car sa concrétisation peut seule permettre à des confessions chrétiennes de s’intégrer avec d’autres dans une plus vaste unité sans avoir l’impression de se renier.

Les Églises catholiques appartiennent à ce tronc commun du christianisme dit oriental, qui s’est épanoui originairement au Proche-Orient asiatique, dans la partie nord-orientale de l’Afrique, en Grèce, dans les Balkans et dans l’Europe orientale, et dont la plus grande partie numérique est séparée de Rome pour des raisons historiques complexes, malgré une identité fondamentale de foi. En plus du rite maronite entièrement catholique, on trouve en elles les différentes variétés (rites) du christianisme oriental: rite byzantin (Grecs, Melkites, Slaves), rite arménien, rite syrien, rite chaldéen (surtout les catholiques du Malabar) et rite copte (groupe égyptien et groupe éthiopien). On compte approximativement 14 millions de catholiques de rite oriental. Les Églises entre lesquelles ils se répartissent sont par leur organisation, leur liturgie et leur théologie du même type que les autres Églises orientales. Elles ont à leur tête un patriarche ou un archevêque majeur. Ceux-ci les gouvernent avec leurs synodes, composés des évêques de leurs Églises respectives: synode permanent et synode plénier. Ils ont même le droit d’instituer de nouvelles éparchies (diocèses) et de nommer les évêques. Vatican II veut qu’on laisse à ces Églises l’autonomie maximale, à l’encontre de la tendance à la centralisation romaine et à la latinisation de fait qui prévalaient antérieurement. Il est souhaitable qu’on élabore un code particulier unique pour les Églises orientales catholiques, de formulation et d’esprit nettement orientaux, sans démarquage du code latin (ce que faisait trop la codification entreprise sous Pie XI et Pie XII). Chacune d’elles devrait avoir en plus son code spécial.

Chaque Église particulière peut recevoir éventuellement une organisation régionale à plusieurs niveaux, dont la base de gouvernement doit être chaque fois l’assemblée épiscopale correspondante. Vatican II prévoit même la possibilité de Conférences épiscopales internationales, groupant les évêques de plusieurs États. Comme on peut facilement le comprendre, il attache surtout de l’importance aux Conférences épiscopales nationales, qui ont reçu un large pouvoir de décision pour l’ensemble du territoire. Elles sont organisées suivant des statuts types, ce qui fait qu’on retrouve partout les mêmes traits essentiels. Si le pays est vaste, il est divisé en provinces ecclésiales. Leur carte doit être entièrement refondue dans les pays de vieille chrétienté. En France, on a créé des régions apostoliques correspondant à la géographie humaine actuelle: par voie de conséquence, les anciennes provinces (ou archevêchés) n’ont plus de raison d’être. Quant au nonce apostolique, qui peut n’être qu’un pro-nonce ou un inter-nonce, il est à la fois le représentant officiel du Saint-Siège auprès d’un État et son intermédiaire, non unique ni obligatoire, auprès des catholiques de son territoire. Si le représentant du Saint-Siège n’a pas de statut diplomatique et ne remplit officiellement que la seconde fonction, il porte le nom de délégué apostolique. L’opportunité des deux fonctions – surtout de la première – a été très discutée.

L’Église diocésaine

D’après la conception catholique qui est aussi celle de toutes les Églises orientales, c’est le diocèse, communauté gouvernée par un évêque sur un territoire relativement vaste, qui constitue la communauté ecclésiale de base ou l’Église locale, parce que l’Église n’est pleinement signifiée que là où se trouve comme responsable un évêque, en tant que membre du corps épiscopal. Celui-ci, bien qu’il soit subordonné au pouvoir ecclésial suprême et aux instances intermédiaires (Conférences épiscopales), est plus qu’un préfet. Il est le premier responsable de son diocèse et doit jouir, d’après un principe heureusement posé par Vatican II, de tous les pouvoirs nécessaires à l’accomplissement de sa fonction pastorale, sans qu’il soit obligé de recourir fréquemment à une autorité supérieure. Il est parfois aidé par un évêque coadjuteur ayant droit de succession ou un évêque auxiliaire, sans droit de succession. Ses collaborateurs principaux sont le vicaire général (ou les vicaires généraux) et les vicaires épiscopaux. Il dispose de divers conseils: notamment le conseil presbytéral (uniquement des prêtres) et le conseil pastoral (clercs, religieux et laïcs). Le chapitre des chanoines, qui était autrefois une institution importante, doit au moins recevoir une profonde transformation et on réclame souvent sa suppression complète – ce qui est compréhensible. L’officialité, qui est assez souvent régionale, est chargée de rendre la justice. Le séminaire est également souvent interdiocésain. Quant au secrétariat de l’évêché, il est évidemment une pièce maîtresse de l’ensemble, et le synode diocésain (sorte de grandes assises du diocèse) est certainement appelé à une vitalité, surtout si les laïcs et les religieux y participent aussi bien que le clergé. Les expériences réalisées sont pleines de promesses.

Comme le département français, le diocèse est quadrillé géographiquement et sociologiquement. Sur le plan géographique, on a la zone (en langage canonique traditionnel: archidiaconés, archiprêtrés), qui correspond à l’arrondissement; le doyenné, qui correspond au canton; la paroisse, qui correspond à la commune. Sur le plan sociologique, on aura des institutions de type caritatif, social ou culturel; des aumôneries de genres variés (d’hôpitaux, de lycées, de collèges, etc.); des couvents; des groupements de laïcs, surtout sous la forme de l’Action catholique. La paroisse a vocation à rassembler tous les catholiques habitant sur son territoire, sans distinction de milieu social. Son organisation pose des problèmes complexes, qui ne peuvent pas recevoir de solutions uniformes. L’idéal serait qu’elle constitue une communauté suffisamment nombreuse, sans l’être trop toutefois, afin que ses membres puissent nouer entre eux des relations personnelles. Il est indispensable que les prêtres travaillent en collaboration étroite et assez souvent souhaitable qu’ils habitent ensemble. L’équipe a la faveur du jeune clergé. Le diaconat, auquel des hommes mariés peuvent désormais accéder même dans l’Église latine, semble devoir connaître un grand renouveau. Quant à la possibilité que des hommes mariés puissent également accéder au sacerdoce, comme dans les Églises orientales, elle est très discutée, mais le pouvoir suprême ecclésial tient à maintenir la règle du célibat, qui, en Occident, remonte jusqu’au IVe siècle, et qui n’est nullement inhumaine, lorsqu’on l’envisage à la lumière de l’Évangile.

Le laïcat

Sous le nom de laïcs on entend l’ensemble des chrétiens qui ne sont ni clercs ni religieux; les membres ordinaires (l’adjectif n’indique aucune infériorité) de l’Église considérée comme peuple (見靖﨟) de Dieu. Leur mission est double: d’abord celle d’exercer «la gérance des choses temporelles» (Vatican II) à travers leur vie familiale et leur activité professionnelle, vécues suivant l’esprit évangélique, ce qui leur permet de porter un témoignage de foi qui puisse être perçu par les non-chrétiens; ensuite celle d’être des éléments actifs à l’intérieur de la communauté ecclésiale à tous ses niveaux, et donc d’y exercer des responsabilités propres en collaboration avec le sacerdoce ministériel. La première mission a été toujours affirmée. La seconde a subi une éclipse partielle, par réaction, contre la négation protestante du sacerdoce ministériel et contre les empiétements trop fréquents du pouvoir politique. Depuis Pie XI, les laïcs reprennent la place à laquelle ils ont droit dans l’Église, individuellement et collectivement, soit par leurs groupements propres (spontanés ou organisés), soit par leur participation active à la vie des communautés hiérarchiques (diocèses, paroisses, etc.). Quoique aucun ne soit personnellement obligé de participer à un apostolat organisé, celui-ci est cependant indispensable. Sa forme la plus explicitement ecclésiale est l’Action catholique dont les caractéristiques sont les suivantes d’après Vatican II: un but qui soit le but apostolique même de l’Église, une collaboration étroite avec la hiérarchie et sous sa haute direction, une action à la manière d’un corps organisé.

Instituts religieux et instituts séculiers

Les instituts religieux et les instituts séculiers ont ceci de commun que leurs membres s’engagent à vivre toute leur vie l’idéal évangélique de la pauvreté, du célibat consacré et de l’obéissance: ce qu’on appelle couramment les trois conseils évangéliques.

Dans les instituts religieux (ordres et congrégations), ces engagements sont assumés publiquement devant l’Église par des vœux publics et vécus généralement sous la forme de la vie commune avec des règles assez minutieuses et sous une dépendance étroite par rapport aux supérieurs. Ils sont préparés par un temps plus ou moins long de formation spéciale (postulat, noviciat), formulés d’abord temporairement (vœux temporaires), puis définitivement (vœux perpétuels, simples ou solennels). La réglementation et la physionomie particulière des instituts religieux s’expliquent par une très longue histoire, qui remonte jusqu’aux premiers temps du christianisme et qui trouve des analogies dans les religions non chrétiennes (communauté juive de Qumr n, bouddhisme, hindouisme, isl m). En ce qui concerne le genre de vie, la distinction la plus importante est celle des instituts contemplatifs, qui s’adonnent principalement à la prière (bénédictins, carmes, trappistes...) et les instituts dits actifs, qui se consacrent à l’apostolat sous les formes les plus variées (franciscains, dominicains, jésuites, salésiens...). Sous l’impulsion de Vatican II, ils ont entrepris de profondes réformes pour s’adapter aux besoins actuels (aggiornamento ). Leur vitalité en sera accrue.

Quant aux instituts séculiers , qui sont de création récente (1947), ils ont pour but de vivre les trois conseils évangéliques en plein milieu des hommes dans leur existence quotidienne: donc normalement avec l’exercice d’une profession (libérale ou manuelle), sans costume spécial, souvent sans cohabitation, avec des règles et une dépendance très souples par rapport aux supérieurs. Les engagements sont pris également après une formation assez longue. Ces instituts connaissent déjà un essor remarquable et semblent appelés à un grand avenir. Le plus ancien (juridiquement) et en même temps le plus important, le plus célèbre et le plus discuté d’entre eux est l’Opus Dei (plus précisément, Société sacerdotale de la Sainte-Croix et Opus Dei).

Institutions ecclésiales d’essence profane

L’Église possède de nombreuses institutions d’ordre éducatif, culturel, caritatif ou social. Souvent, elle les a fondées à titre de suppléance: au Moyen Âge, et même beaucoup plus tard, quand elle assumait pratiquement la responsabilité de la charité et de la culture; actuellement dans les pays sous-developpés. Dans d’autres cas, elle l’a fait comme témoignage de sa charité ou d’une imprégnation concrète d’un secteur de l’activité humaine (par exemple, celui de l’éducation) par l’esprit évangélique. Sur le plan juridique, ce droit de fonder de telles institutions doit être reconnu à l’Église comme à toute autre communauté religieuse, puisqu’elles sont effectivement au service des hommes. On peut seulement discuter de l’opportunité de la fondation ou du maintien de telle ou telle institution, car l’Église doit répudier toute mentalité de ghetto et savoir s’adapter aux changements de la conjoncture. Mais c’est à elle qu’il appartient normalement de résoudre le problème et sa liberté doit être respectée.

2. L’esprit du catholicisme

Le fait catholique

Statistiques et implantations

D’après les évaluations statistiques, qui dans un domaine comme celui des religions ne peuvent être que particulièrement problématiques, le monde catholique compterait, au début des années quatre-vingt-dix, près de 996 millions de baptisés, contre environ 167 millions dans l’Église orthodoxe et 363 millions dans le protestantisme (Britannica Book of the Year , 1991). On ne peut naturellement pas déterminer, à partir de ce chiffre global, le nombre de fidèles qui sont vraiment engagés dans l’Église par la participation régulière à la vie de celle-ci, ni, encore moins, le nombre de ceux qui, baptisés le plus souvent dans leur enfance, ont ratifié personnellement leur adhésion à la foi catholique. Cette remarque vaudra pour tous les chiffres qui sont avancés ici.

La répartition des catholiques dans les grandes parties du monde s’établit ainsi d’après le Book of the Year 1991 de l’Encyclopædia Britannica :

Amérique du Nord 235 500 000
Amérique latine 390 050 000
Europe 261 080 000
Asie 118 900 000
Afrique 116 670 000
Océanie 7 980 000

Selon les mêmes sources, le total des catholiques d’Europe occidentale se décompose comme suit:

Allemagne 30 130 000
Autriche 6 430 000
Belgique 8 890 000
Espagne 37 910 000
France 43 280 000
Gibraltar 23 000
Irlande 3 265 000
Italie 47 790 000
Luxembourg 352 000
Malte 343 000
Monaco 27 000
Pays-Bas 5 380 000
Portugal 9 820 000
Royaume-Uni 7 520 000
Suisse 3 216 000

Les catholiques d’Europe occidentale représentent 56 p. 100 de la population totale du continent et environ un peu plus d’un quart de la population catholique mondiale. On trouve, en Europe occidentale, plus de 50 p. 100 des prêtres du monde entier contre moins de 10 p. 100 en Amérique latine.

Il convient de mentionner que ces statistiques incluent un certain nombre, relativement faible mais ecclésialement significatif, de catholiques orientaux (environ 11 millions). Ces catholiques, tout en étant en communion avec Rome, se distinguent des catholiques latins pour la discipline ecclésiastique et spécialement pour les rites liturgiques. L’émigration les a souvent entraînés en Occident, sans que pour autant ils soient assimilés à la partie latine de l’Église catholique. Ce sont les catholiques:

– de rite byzantin (Roumanie, Bulgarie, Albanie, Grèce, Turquie, Hongrie, Canada, Tchécoslovaquie, ex-U.R.S.S., ex-Yougoslavie);

– de rite syrien (Iran, Irak, Liban, Jordanie, Syrie, Inde);

– de rite chaldéen (Syrie, Iran, Liban, Irak, Égypte, États-Unis, Inde, Turquie);

– de rite maronite (Liban, Syrie, Égypte, France, États-Unis);

– de rite copte (Éthiopie, Égypte);

– de rite arménien (ex-U.R.S.S., Turquie, Syrie, Roumanie, Égypte, Liban, Jordanie, Iran, Irak, Grèce, France, États-Unis).

L’inégale répartition du catholicisme dans le monde est évidente. Cette situation tient à des causes multiples. L’Asie, avec ses 2 ou 3 p. 100 de population catholique, n’a été que peu touchée par l’évangélisation. Quant à l’Afrique, elle compte 18 p. 100 de catholiques. Le monde arabe représente depuis des siècles une barrière à la pénétration chrétienne: il compte moins de 2 p. 100 de catholiques. L’ancien bloc communiste, avec un peu plus de 5 p. 100 de catholiques, relève surtout du christianisme orthodoxe. Les 34 p. 100 de catholiques en Amérique du Nord s’expliquent par le fait qu’il y a une majorité de chrétiens protestants aux États-Unis, mais la proportion des premiers est en augmentation par rapport aux seconds. Il reste l’Amérique latine avec environ 90 p. 100 de catholiques: catholicisme atavique qui a son origine dans la colonisation espagnole et portugaise du XVIe siècle.

L’Europe demeure la région du catholicisme le plus développé, principalement dans les pays latins, où le protestantisme s’est peu implanté. Les catholiques d’Europe continuent d’assumer une responsabilité universelle dans leur Église, non sans risque de protectionnisme. Ils jouent encore le rôle prédominant dans la pensée théologique et dans les renouveaux. Mais ils vivent encore souvent repliés sur eux-mêmes, dans le moment même où ils viennent en aide aux autres régions de leur Église. Ce repliement joue, même à l’intérieur de l’Europe, en vertu des cloisonnements nationaux hérités du passé.

Organisation

L’Église catholique s’est fait une solide réputation de gouvernement centralisé autour de Rome et de son évêque, le pape. Cela se révèle particulièrement vrai depuis quelques siècles; ce l’était moins au Moyen Âge et le devient moins depuis le deuxième concile du Vatican, terminé en 1965. Le régime ecclésiastique, qu’on qualifiait parfois de monarchique, tend à devenir plus collégial et à faire place à une certaine démocratisation.

La foi catholique reconnaît une valeur permanente et normative à la volonté de Jésus-Christ confiant l’avenir de sa communauté aux Apôtres et, parmi eux, à leur chef, Pierre. Au cœur d’une organisation qui relève largement de l’histoire et des données sociologiques, demeure prépondérante, en conséquence, la place des évêques successeurs des Apôtres et, parmi eux, du pape, successeur de Pierre. C’est autour du pape et des quelque 3 000 évêques répartis dans le monde (L’Annuarium statisticum ecclesiae de 1977 dénombrait 2 297 circonscriptions ecclésiastiques) que se rassemblent aujourd’hui les communautés catholiques. Les prêtres sont les coopérateurs des évêques dans l’exercice de leur responsabilité de pasteurs.

Que le pape soit évêque de Rome, cela s’explique par le fait que l’apôtre Pierre fonda et gouverna l’Église de cette ville. Rome devint, de ce fait, le centre de l’Église universelle. Que le pape ait été, par la suite, souverain temporel des États de l’Église, cela relève des situations de fait et n’engage évidemment pas la foi des catholiques. Depuis 1929, en vertu des accords du Latran, signés entre l’Italie et le pape, celui-ci s’est fait reconnaître une souveraineté limitée à l’État du Vatican, en vue d’assurer l’indépendance à l’exercice de son pouvoir pastoral et aux organismes centraux de l’Église. Certains catholiques ne trouvent pas satisfaisante cette solution qui, à leurs yeux, ne dégage pas assez le Vatican des sphères politiques.

Le pape est l’arbitre suprême, surtout en matière de foi, de la vie de toute l’Église catholique. Mais cela ne signifie pas que les évêques soient réduits au rôle d’exécutants. Ils possèdent, au contraire, la responsabilité directe du gouvernement pastoral des régions de l’Église, soit en personne dans leurs diocèses, soit en collège dans un pays ou dans un continent. Un régime de communion et d’échanges doit empêcher que naissent des conflits entre l’instance papale et l’instance épiscopale. Mais il faut s’attendre à ce que le souci de garder l’unité de toute l’Église, conjoint au souci de susciter une authentique regionalisation, n’aille pas toujours sans tension.

La Curie romaine, ensemble de ministères et de secrétariats généraux qui entourent le pape pour l’exercice de ses fonctions universelles, a bien souvent eu tendance à la centralisation. Le deuxième concile du Vatican a cherché à porter remède à ce danger, en désitalianisant la Curie, en appelant à y entrer, pour un temps, des évêques de tous pays, en y limitant de diverses façons les pouvoirs des organismes qui la constituent.

Il faudrait, pour prendre une vue exacte de l’organisation de l’Église catholique, ne point s’en tenir aux institutions de gouvernement. Les mouvements apostoliques, les structures de dialogue avec les divers groupes humains, les organisations d’aide et de service, les œuvres diverses (souvent proliférantes) se développent généralement à trois niveaux: au niveau du diocèse, au niveau national, au niveau international. On pourrait citer le cas du Secrétariat pour le dialogue avec les non-croyants, qui a son siège à Rome, mais coordonne les secrétariats nationaux du même type. On pourrait aussi avancer le nom de quelques-unes des organisations internationales catholiques qui s’articulent sur des organismes similaires non confessionnels: Bureau international catholique de l’enfance, Commission internationale catholique pour les migrations, Caritas internationalis, Office catholique international du cinéma, Mouvement international des intellectuels catholiques, Union internationale de la presse catholique, etc.

L’identité catholique

La «photographie» du fait catholique qu’on vient de présenter ne nous montre que son extérieur, son aspect sociologique. Il faut à présent en pénétrer la signification.

Si nous demandions à un catholique conscient de nous y aider, il nous avertirait vite qu’un préalable s’impose: avoir identifié le fait chrétien dont le fait catholique est né. Mais une difficulté globale surgit au moment où l’on accepte ce préalable et où l’on croit partir du bon pied: ce que l’on reconnaît – que l’on y croie ou non – d’universel et de large (de catholique, au sens défini plus haut) dans le fait chrétien ne va-t-il pas se replier en devenant catholique? Le catholicisme, avec ses formes particulières, sa confessionnalité, ses croyances, ne va-t-il pas paradoxalement rendre le christianisme moins catholique? Voilà du moins un défi que quiconque est en droit de lancer aux croyants catholiques.

Il semble possible de reconnaître l’identité catholique à quelques traits fondamentaux, que l’on pourrait appeler les principes constitutifs du catholicisme.

L’unité visible de l’Église

De même que Dieu a rendu manifeste en Jésus de Nazareth, cet homme particulier qui a pris place dans l’histoire datée et localisée de l’humanité, son salut universel, ainsi s’est-il lié à une Église visible pour actualiser ce salut. Cette Église est née à la Pentecôte, voulue par Jésus-Christ qui a prolongé en elle l’absolu de son Événement. Pour l’essentiel, il a dessiné son visage et il n’y aura point de retouche. Cette Église sera unique jusqu’à la fin des temps, car il n’existera point d’autre assemblée ni d’autre institution qui ait le privilège de s’approprier l’Événement de Jésus-Christ.

Par son existence même, par sa confession de foi, par ses signes et ses Écritures, l’Église témoigne de ce qui est arrivé en Jésus-Christ au bénéfice de tous les hommes, et elle invite chacun à y participer. Ce qui fait sa raison d’être rejoint le sens dernier du monde et de l’histoire de chaque homme. Fût-elle un tout petit groupe dans le vaste monde, elle se sait porteuse et révélatrice de la libération et de la convocation de Dieu pour tous, y compris pour ceux qui sont hors d’elle. Et cela en dépit des infidélités dont elle est complice, car la promesse de Dieu qui l’a rendue porteuse du salut de Jésus-Christ ne lui sera point retirée.

L’Église catholique ne saurait donc admettre qu’il y ait plusieurs Églises chrétiennes possibles interprétant différemment la volonté de son fondateur – qui n’a point fondé des Églises mais une Église. C’est pourquoi, tout en reconnaissant la nécessité de la réforme profonde dont elle avait un urgent besoin au XVIe siècle, elle ne peut accepter les ruptures auxquelles aboutissent les réformateurs protestants.

Cette position, dans laquelle l’Église catholique se présente comme juge et partie, ne peut sans doute être reconnue que par la foi. Les croyants catholiques eux-mêmes n’ignorent pas qu’elle a trop souvent été proclamée et défendue avec une enflure et un triomphalisme peu évangéliques. Ils affirment bien haut qu’elle ne signifie en rien la condamnation de ceux qui sont hors du bercail catholique, ni la volonté de forcer quiconque à y entrer ou à y revenir.

La Tradition

L’assurance dont témoigne l’Église catholique concernant son identité et sa mission lui vient de ce qu’elle sait exister en elle la tradition évangélique. Il ne faut point entendre par là la pure continuité sociologique avec le passé, mais la capacité de se souvenir de Jésus-Christ, de scruter l’Évangile vivant, d’en percevoir l’importance absolue pour l’existence des hommes et de l’interpréter dans l’aujourd’hui du monde.

Le catholicisme n’est point la religion du Livre, car les Écritures sont des archives que l’Église elle-même à écrites ou assumées et qu’elle seule peut réinterpréter dans la continuité d’une expérience et de l’esprit de Jésus-Christ. Les Écritures lui sont un aide-mémoire pour se souvenir de l’Événement initial, pour le méditer et l’annoncer en dépassant la lettre.

À travers les filtres culturels qui servent d’expressions successives à la foi, l’Église catholique croit qu’elle a la possibilité de réactualiser toujours le message évangélique et qu’elle ne peut «perdre» la foi. Quiconque participe à sa vie peut ainsi, dans une continuité vivante, s’approprier la Parole de Dieu qui s’est incorporée en Jésus-Christ.

Le catholicisme a souvent manifesté un souci farouche d’orthodoxie, proche de l’esprit de système. Derrière les maladresses dans la défense de la vérité, on peut reconnaître le souci de ne point laisser relativiser une vérité qui porte en elle les significations décisives pour la vie de l’homme, et qu’il ne faut point livrer à l’arbitraire de l’interprétation subjective. Vérité et vie sont indissociables pour l’Évangile.

La succession apostolique

L’unité de l’Église et la vie de la tradition trouvent, pour le catholique, leur garantie dans ce qu’il appelle la «succession apostolique». De quoi s’agit-il? Il semble qu’on en réduirait beaucoup la réalité en n’y voyant qu’une succession juridique, un passage de pouvoirs depuis les Apôtres envoyés par le Christ jusqu’aux évêques d’aujourd’hui. Il s’agit plutôt d’une investiture continue par le Christ vivant, qui veut garder sa communauté dans la fidélité. Ce n’est point seulement la communauté qui se donne des chefs, même si elle participe à leur désignation, c’est le Christ qui maintient actuelle la mission confiée primitivement aux Apôtres.

La succession apostolique, ainsi interprétée par la foi catholique, ne signifie pas que les évêques ne puissent se tromper: l’histoire de l’Église montrerait facilement le contraire. Elle ne légitime pas la forme d’autoritarisme féodal que prit parfois ce pastorat de droit divin, car l’Évangile enseigne que seul le service donne son sens à la fonction. Pourtant, en ce domaine, le catholicisme a cédé souvent à la tentation d’aligner l’autorité chrétienne sur les modèles politiques et sociaux des temps qu’il traversait. C’est ce que pensent de nombreux catholiques qui ne remettent point en cause, pour autant, le principe de la succession apostolique: l’obéissance que leur inspire la foi n’exclut pas la contestation.

Les sacrements

Tout en reconnaissant que l’Évangile est radicalement un renouvellement de l’existence, introduit par la nouveauté de l’intervention de Dieu, le catholicisme convie ses fidèles à participer à la communauté confessante et pratiquante qui célèbre les sacrements chrétiens. Et cela au nom de Christ, qui est à l’origine de ces signes de reconnaissance réciproque et de communion que sont les sacrements. Malgré les apparences, le catholicisme ne se contente pas de s’aligner sur les religions à rites en ajoutant un culte à l’appareil des croyances. En célébrant le sacrement avec la communauté, le croyant fait mémoire de l’Événement exemplaire de Jésus-Christ Sauveur de tous les hommes, met le monde sous la mouvance de cet Événement et s’en approprie les énergies. Il s’agit d’une pratique selon l’Évangile dans la logique de l’existence croyante, non d’une satisfaction du besoin religieux. Il semble nécessaire de préciser ici la place faite dans le catholicisme à la médiation: que ce soit la médiation des ministres pastoraux, la médiation des sacrements ou celle qui est reconnue à Marie et aux saints. Cette médiation n’est point de caractère magique, comme celle des religions païennes. Elle ne double pas celle du Christ, unique Médiateur suscité par Dieu; elle ne fait que l’actualiser, que l’appliquer de façon visible et sociale dans l’histoire des croyants. Cela ne va pas sans risque, cependant: certaines formes vulgaires de piété populaire, qui se sont développées sans une vérification suffisante de la foi, le manifestent. Des protestations prophétiques s’avèrent périodiquement nécessaires pour purifier la vie de l’Église de ces reviviscences du paganisme.

En exposant ainsi, schématiquement les grands traits de l’identité catholique, nous avons cherché à comprendre ce qui constitue, semble-t-il, l’esprit du catholicisme. À maintes reprises sont apparues les distorsions qui peuvent s’y introduire en pratique et faire dévier l’Église vers la secte: juridisme institutionnel, orthodoxie de système, emprise de la caste sacerdotale, tendance à la superstition. Autant de menaces qui risquent de porter atteinte à la signification universelle revendiquée par l’Évangile. Le protestantisme n’a pas manqué de clairvoyance en insérant à ces endroits sa protestation évangélique. L’Église catholique manquerait de sens chrétien en ne le reconnaissant point et en ne redoublant pas de vigilance. Mais elle ne consent pas à renoncer à l’interprétation séculaire de la volonté du Christ sur sa Communauté, protestant à son tour que l’esprit véritable du catholicisme n’est pas atteint par ses déformations. Il n’est pas question d’arbitrer ici ce débat fondamental. Il est manifeste pourtant que le protestantisme s’est récemment ouvert à des tendances qualifiées de catholicisantes, notamment à l’intérieur de la section «Foi et Constitution» du Conseil œcuménique des Églises: elles témoignent de l’accueil fait aux questions maintenues par le catholicisme dans le dialogue entre chrétiens.

L’avenir du catholicisme

Si l’on interroge le croyant catholique sur l’avenir de son Église, il répondra vraisemblablement que cet avenir ne peut faire abstraction de la fidélité de Jésus-Christ, qui veille sur son œuvre. Nous enregistrons volontiers cet a priori. Mais le croyant lui-même sait que, pour être entreprise de Dieu, son Église n’en est pas moins une réalité de l’histoire, soumise aux aléas et aux conditionnements divers. L’histoire de l’Église catholique enregistre, depuis vingt siècles, des temps de haute vitalité et des temps menacés. Nous nous risquerons donc à quelques pronostics appuyés sur les données culturelles et sur les situations d’un monde en rapide et profonde mutation, et en supposant examinées par provision les questions de l’avenir du fait religieux et du christianisme. L’avenir du catholicisme dépend largement, à notre avis, de sa capacité à surmonter des défis et des contradictions dont il ne peut se détourner.

Catholicisme et Occident

Le catholicisme s’est profondément acculturé en Occident où il s’est trouvé, durant des siècles, «comme un poisson dans l’eau». Il est aujourd’hui provoqué à manifester pour de bon son universalité métaculturelle. Les réalités catholiques d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine sont encore largement tributaires de l’importation européenne: mais cela n’est point sans créer un malaise largement ressenti. Il reste à donner la preuve qu’à la différence de la plupart des religions, le catholicisme n’est point tributaire de certaines aires ethniques et culturelles, qu’il peut se faire reconnaître dans les aires déjà occupées par d’autres religions ancestrales ou par l’athéisme moderne, qu’il peut susciter de nouvelles et fécondes acculturations. À défaut de quoi on conclura qu’il était la religion culturelle de l’Occident. Le problème missionnaire se pose aujourd’hui en ces termes. Il faudrait passer d’une catholicité quantitative et d’une catholicité de prétention à une catholicité multiculturelle et qualitative.

Catholicisme et politique

Le catholicisme s’est longuement habitué, en Occident, à se développer en harmonie avec les puissances temporelles. Le mouvement de laïcisation a déjà ébranlé cette situation, mais sans la liquider complètement. L’heure est venue pour l’Église catholique de renoncer à tous ses privilèges temporels et d’apparaître désarmée au milieu d’un monde qui revendique farouchement l’autonomie du temporel: le cléricalisme a terminé sa course. Le catholicisme acceptera-t-il de s’appauvrir pour servir les hommes, de renoncer à certaines de ses institutions qui empiétaient sur la compétence de la cité temporelle? Acceptera-t-il sans arrière-pensée de mettre en pratique la déclaration du IIe concile du Vatican sur la liberté religieuse, quitte à réviser les concordats conclus à l’ancienne mode? C’est le mode de présence de l’Église dans le monde qui est ici en cause: présence de puissance ou présence d’animation.

Catholicisme de masse et catholicisme d’élite

Depuis le temps de Charlemagne le catholicisme a fait l’expérience d’une religion de masse au point de confondre catholicité et unanimité. Cela n’a pas toujours, et de loin, été de pair avec la qualité spirituelle et le personnalisme des convictions. Des situations nouvelles ont ébranlé déjà le christianisme de masse en certaines régions, tandis qu’il subsiste en d’autres. Le problème se pose à lui de ne pas accepter les faits à contre-cœur, mais de faire face avec lucidité. Sans doute l’Église catholique ne peut-elle se résoudre à retourner aux catacombes, à n’être qu’un petit reste: ce serait contraire à sa catholicité d’intention. Mais le moment est sans doute venu de ne pas chercher au rabais à maintenir les masses dans le bercail sans les éclairer et les rendre capables de décision chrétienne. Le dilemme: catholicisme de masse ou catholicisme d’élite n’est sans doute pas une heureuse formulation, car l’évangile n’est pas réservé à une aristocratie. Mais comment peut-il être proposé à tous sans se réduire à une religion atavique? Comment rompre l’enchaînement du sous-développement chrétien des masses catholiques?

Catholicisme de la loi et catholicisme de la liberté

L’Église catholique s’est fait une réputation fondée de régime autoritaire, multipliant les lois et les obligations parmi ses fidèles, établissant son unité par le moyen d’une forte discipline; ce qui lui valut souvent d’être comparée à une armée. Or un fort courant culturel incline les communautés humaines d’aujourd’hui dans le sens de la participation responsable et de la liberté, remettant en question un style d’autorité avec lequel le catholicisme avait partie liée. Des vagues de contestation se lèvent dans les régions les plus traditionnellement catholiques, dénonçant le «système» et l’appareil ecclésiastiques. Un courant de catholicisme critique est né au deuxième concile du Vatican. Comment l’Église va-t-elle digérer ces nouvelles données? Sans doute ne peut-elle pas devenir une société démocratique de type parlementaire sans mettre en question l’esprit du catholicisme. Mais il lui faudra faire aboutir, sous peine de nourrir en elle une situation de malaise insupportable, le processus de démocratisation qui est inscrit dans son identité de «peuple de Dieu»: en multipliant en son sein les structures de dialogue, en rendant les fidèles plus responsables et plus participants, en libéralisant les obligations au bénéfice de la conscience de chacun, en acceptant la contestation, en reconnaissant la place de la recherche. Un nouveau style de magistère et d’autorité pastorales sont désirés par un grand nombre de fidèles qu’il faudra bien écouter.

Catholicisme de chrétienté et catholicisme de mouvement

Le catholicisme hérite d’un passé déjà long, d’une multitude d’institutions, de synthèses théologiques, de coutumes dont le langage ou le fonctionnement paraissent surannés à un grand nombre de ses fidèles et, plus encore, à ceux qui le regardent de l’extérieur. Déjà des révisions ont commencé, mais elles rencontrent l’hostilité des régions traditionnelles et d’une partie de la hiérarchie. On comprend que l’Église n’adopte point des méthodes révolutionnaires, qui ne conviennent point à son identité, et qu’il lui faille peser soigneusement ce qui doit changer et ce qui ne peut changer. Mais aura-t-elle l’audace de s’adapter en profondeur à la nouvelle culture sans se renier elle-même? Prendra-t-elle le risque, qui semble impliqué dans ses déclarations d’intention missionnaire, de rajeunir son visage, de réinterpréter son langage pour devenir parlante aux générations qui montent?

Catholicisme et œcuménisme

Les chrétiens les plus conscients de toutes confessions supportent avec de plus en plus d’impatience les divisions confessionnelles. L’œcuménisme a porté des fruits qu’on n’espérait pas si vite. Mais cela met le catholique dans un cruel embarras. Il est encore facile de surmonter les facteurs de division d’origine sociologique et historique, mais comment surmonter les facteurs de division d’origine doctrinale? Le catholicisme ne peut accepter en conviction de foi certaines positions du protestantisme sans se renier. Comment pourra se faire dans l’avenir l’indispensable unité visible des chrétiens? Comment pousser à son terme le désir d’unité mis à jour par le dialogue œcuménique?

Tels sont les défis majeurs qui, à notre avis, conditionnent l’avenir historique du catholicisme. Un certain nombre d’indices manifestent que l’Église catholique perçoit ces défis, mais il paraît prématuré de se prononcer, en dehors d’une foi a priori, sur ses chances dans le monde de demain.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем сделать НИР

Regardez d'autres dictionnaires:

  • CATHOLICISME LIBÉRAL ET CATHOLICISME SOCIAL — Catholicisme libéral, catholicisme social, démocratie chrétienne: trois courants de pensée qu’il serait déraisonnable de traiter comme s’ils n’avaient entretenu aucune sorte de relation réciproque. Assurément, ce qui les différencie est souvent… …   Encyclopédie Universelle

  • Catholicisme en France — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Catholicisme français — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Eglise catholique romaine en France — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Église catholique en France — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Église catholique française — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Église catholique romaine en france — L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France. Sommaire 1 Aperçu général 2 Histoire …   Wikipédia en Français

  • Église de France — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Église française — Église catholique romaine en France L Église catholique romaine a eu un rôle considérable dans l histoire de France, essentiellement sur le plan religieux. Effectivement, le catholicisme a été, et est toujours, la religion majoritaire en France.… …   Wikipédia en Français

  • Eglise orthodoxe — Église orthodoxe Pour les articles homonymes, voir orthodoxe. Christianisme Religions abrahamiques (arbre) Judaïsme · Christianisme · Islam Courants …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”